HADOPI, ou l’art et la manière d’empapaouter les mouches (et pas seulement elles…)
Par Clem le mardi 11 janvier 2011, 16:03 - Législation - Lien permanent
Décidément, depuis qu’elle a été instaurée, la HADOPI, Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet, ne rate jamais une occasion de montrer l’étendue de son incompétence ainsi que de révéler la perversité de son action.
La dernière interview du secrétaire général de la Haute Autorité ne fait pas exception à la règle. Cité par le Figaro du 27 décembre dernier, l’ex-conseiller du candidat Sarkozy lors de la précédente élection présidentielle, a annoncé l’organisation prochaine de «Labs», sorte de groupes de travail où des «vrais professionnels du net», et même «d’anciens opposants» seraient rémunérés pour, si ce n’est disséquer les internautes, du moins tenter d’imposer la doctrine officielle.
En effet, la Haute Autorité n’en est pas à sa première tentative d’intoxication de l’opinion publique. Domaine dans lequel elle est passée maitre depuis la scandaleuse campagne «J’aime les artistes» jusqu’à l’annonce mensongère des 100.000 emails d’avertissements envoyés. Paranoïaque, la HADOPI multiplie les initiatives pour tenter de présenter un visage plus humain face aux «hystériques d’Internet» selon les propres termes de la présidente de cette administration moribonde. Car à défaut d’avoir de réels objectifs sur ce pourquoi elle a été instaurée, la Haute Autorité se cherche une raison d’exister.
Ainsi, de l’aveu de sa propre incompétence, la HADOPI ne lutte pas contre le piratage mais sanctionne les internautes qui ne «protègent pas leur connexion Internet». Les pirates peuvent dormir tranquille car le canon à SPAM de l’autorité ne vise que les petits, ceux qui téléchargent occasionnellement, presque accidentellement, quelques fichiers. Mais loin d’être infaillible, de nombreux internautes innocents risquent bien d’être les victimes collatérales de cette répression automatisée. Sanctionner pour l’exemple, au hasard, sur la seule foi des relevés d’IP des ayants-droits, est une conception bien inquiétante d’un dispositif dit «éducatif». Et c’est sans doute également pour des raisons «pédagogiques», autant que par cynisme, que la HADOPI en est venue dernièrement à se moquer publiquement des lettres d’excuses qu’elle a reçue de quelques malheureuses victimes.
Et pourtant, ce qu’elle n’avoue pas, c’est que si le piratage n’a pas baissé, le chiffre d’affaires des industries culturelles, lui, a explosé. En 2010, comme en 2009, malgré la crise, les salles françaises ont connu leur plus forte fréquentation depuis ces trente dernières années. Par ailleurs, tandis que les ventes de CD, et DVD continuent de chuter, les autres modes de diffusion progressent : la VOD apparaît prometteuse, les nouveaux supports vidéo haute définition, et bientôt 3D, prennent la relève du DVD et de la VHS.
En effet, les nombreuses études parues sur le sujet, spectaculairement ignorées lors des débats parlementaires, ont toutes démontré que le téléchargement illégal ne peut-être directement rendu responsable de la baisse des revenus des industries culturelles tirés essentiellement des supports physiques. Car endormies par des profits qu’elles espéraient intarissables, c’est parce qu’elles ont été incapables de répondre à cette nouvelle demande, à cette mutation du marché, que les industries de la culture ont préféré lutter contre ce qu’elles n’ont pas réussi à conquérir. Jusqu’à perdre leur hégémonie dans le commerce des œuvres au profit de plateformes de téléchargement légales mises en place par de nouveaux entrants comme Apple ou Amazon.
Nul ne peut nier que la révolution numérique a bouleversé les habitudes de consommation, fragilisant les modèles économiques traditionnels des industries culturelles reposant essentiellement sur la rareté. Mais la Haute Autorité n’a ni les moyens, ni même les compétences pour apporter une réponse efficace au problème de financement de la création. Alors à quoi sert-elle réellement mise à part gaspiller un budget annuel de plusieurs dizaines de millions d’euros ?
C’est de la saillie idéologique des conservatismes, et de la corruption des pouvoirs politiques et économiques, que la HADOPI est née. Qu’importe la cause prétendument défendue, dès son origine, elle était vouée à devenir le fer de lance d’une entreprise inquisitrice bien plus vaste qui consiste à «civiliser une zone de non-droit», fantasmée par un pouvoir apeuré. C’est à dire, et en des termes moins hypocrites, à détruire l’esprit communautaire de libre-échange qui est l’essence même de l’existence d’une culture.
Aux yeux des ayants droits, HADOPI n’est guère qu’une étape devant mener à la fin de la neutralité du net et à une censure d’Internet. L’objectif est simple : s’arroger, avec la complicité des politiques qui ont tout à y gagner, un contrôle des informations qui circulent sur Internet.
Pour cela la surveillance généralisée du réseau est devenue une nécessité absolue. Et l’un des moyens d’y parvenir est de forcer, ou du moins d’inciter très fortement sous peine de sanctions sévères, les internautes à installer un mouchard capable d’enregistrer l’intégralité de leur activité numérique. Comme aux heures les plus sombres de notre Histoire, que le rire gras d’une magistrate nous rappelle brusquement, les internautes repérés par la milice privée des ayants-droits, pour se justifier, sont encouragés à dénoncer leurs proches et leurs voisins. On voit bien que le principe même de l’Hadopi est celui de la suspicion généralisée et de la peur du gendarme au prétexte de défendre la création, en réalité pour satisfaire les tendances les plus réactionnaires de nos dirigeants.
Comme en témoigne cette nouvelle attaque contre les libertés individuelles avec l’adoption en seconde lecture du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (plus communément appelé LOPPSI 2), qui ouvre la voie à un filtrage généralisé du réseau. La polémique suscitée par les dernières révélations de Wikileaks, et la volonté affichée du nouveau ministre en charge du numérique de les censurer en France, en dit long sur ce qui nous attend. HADOPI, LOPPSI 2, ACTA, et prochainement le paquet Télécom européen, et HADOPI 3, toutes ces lois liberticides font partie d’un tout répressif.
Dans ce climat nauséabond, il est vain d’espérer ouvrir de nouvelles voies au dialogue et ramener à la raison une autorité sous tutelle de l’exécutif, dont l’emballement sécuritaire occulte le bon sens.
Marginalisé, caricaturé et même censuré en ayant recours à des procédés dignes des pires régimes totalitaires, le débat démocratique n’a même jamais eu lieu. Feignant d’écouter, jusqu’à mimer pour certains l’utilisation des outils de communication les plus modernes comme twitter, la majorité des parlementaires sont restés sourds aux arguments de ceux qui craignent la dérive liberticide qui menace notre société. «Nous sommes contre, Nous sommes contre» et au final ils s’abstiennent ou votent pour. Sans le moindre état d’âme, ils cèdent ainsi tous à la volonté d’un groupe d’intérêts dont l’ambition ultime est de contrôler Internet comme il dirige déjà les médias traditionnels, la clé du pouvoir, pour préserver et même consolider une société de classe bien orthonormé.
Les «Labs» HADOPI, et bientôt le futur Conseil National du Numérique (présidé par le frère d’une ministre) ne sont que les expressions diverses de cette même aliénation. Et c’est sans doute dans la psychanalyse, et non dans la «sociologie», qu’ils espèreront trouver les moyens d’endoctriner, et de manipuler d’avantage l’opinion publique. A commencer par certaines personnes présentées comme des «opposants» que la bienséance, le faste et l’opulence de la bonne chair suffisent à corrompre.
Cette usurpation de la représentation citoyenne, par le jeu des nominations de complaisance, n’aura aucune légitimité. Pas plus qu’elle ne suffira à masquer l’unité de la misère qui se cache sous les oppositions égocentriques édifiées sur des contradictions refoulées. Pure folie, c’est ainsi avec cette nouvelle mascarade du pouvoir que les puissants espèrent parvenir à privatiser le net pour mieux contrôler et surveiller les citoyens hors de toute règle de droit et dans l’arbitraire le plus absolu.
Force est de constater, avec la gravité qui s’impose, que l’heure n’est donc plus au dialogue. Chaque jour nous perdons une liberté. Chaque jour se referme peu à peu sur nous l’étau de la censure et de la surveillance généralisée. Il fut un temps où l’incompétence de façade de nos élus, suffisait finalement à les excuser, ou du moins à nous rassurer de leurs réelles intentions. Il n’en est rien, l’assaut incessant de nos gouvernants contre nos libertés numériques est le signe annonciateur de cette confiscation de la démocratie qui nous menace.
«Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger» disait Jean Moulin. Aujourd’hui, ces paroles raisonnent dans le coeur de tout homme éprit de liberté. Nous vivons un moment unique dans l’histoire de l’humanité, celui de créer une véritable communauté mondiale. Internet est devenu le vecteur des libertés, de l’expression des opinions, le point commun entre 2 milliards d’individus, le reflet de la société contemporaine. C’est notre devoir de protéger et de transmettre aux générations futures, l’immense espoir qu’il représente.
Aussi est-il temps que nous autres, hystériques d’Internet, barbares, simples citoyens indignés, nous mobilisions pour faire vivre tous ensemble cet idéal démocratique. Nous avons tout à y gagner.
Extrait du site : Affaire d'opinion, créé par Jérôme Bourreau Guggenheim