Ces dernières semaines, les Anonymous (ou Anon) ont profité d'une mise en avant médiatique rarement atteinte, notamment à la télévision. Christophe Barbier sur iTele ou encore le duo Éric Zemmour et Éric Naulleau sur Paris Première ont ainsi tenu des propos prouvant leur manque de maitrise total du sujet. Il convient ainsi de faire le point sur un phénomène qui pourrait bien prendre de l’ampleur dans un futur proche. D'autant plus qu'ils commencent à envahir les rues, même celles de France,  avec plusieurs manifestations organisées aujourd'hui.

Christophe Barbier dans ses œuvres.

Tantôt décrit comme des hackeurs boutonneux, une organisation secrète, des terroristes voire comme l’équivalent d’Al Quaïda en version web, les Anonymous fascinent. Citer une date de naissance du mouvement est néanmoins difficile. Si le terme à proprement dit est utilisé depuis quelques années, notamment depuis 2006/2007, et les raids contre le réseau social Habbo Hotel et le webcaster nationaliste Hal Turner, l’esprit des Anon est bien plus ancien. Que ce soit via le forum 4chan créé en 2003, ou même avant via les actions de divers hackeurs dans les années 90 voire 80.


Une réaction aux agressions contre la liberté

Sauf exception, les Anonymous n’agissent pas, mais réagissent. À quoi ? Aux attaques contre la liberté, et en particulier la liberté d’expression ou de la liberté de la presse. Si les réactions peuvent être critiquées, il ne s’agit au final que de réactions aux atteintes à diverses libertés.

Les attaques contre Habbo Hotel ont ainsi été une réaction à l’interdiction de baignade et de douche d’un enfant de deux ans dans le petit parc de Wales West en Alabama, au motif qu’il était porteur du SIDA (en savoir plus).

Les attaques contre le site et la ligne téléphonique de l’Américain Hal Turner fin 2006 et début 2007 ont été des réactions à ses propos ultra-nationalistes et pro-blanc, sa négation de l’holocauste, ses penchants pour le nazisme, etc. Les actions d’Anonymous contre Chris Forcand sont liées à ses agissements, le monsieur, cinquantenaire, aimant draguer sur la toile les filles ayant encore l'âge d'aller au collège. Bien d’autres attaques contre des groupes pédophiles ont d’ailleurs eu lieu ces dernières années (exemple). 

En 2008, les attaques des Anon contre la Scientologie n’ont été là encore que la réaction à une volonté de censure d’une vidéo YouTube (avec Tom Cruise) de la part de la Scientologie. YouTube fut d’ailleurs l’objet d’un upload massif de vidéos pornographiques en 2009 et 2010 (le YouTube Porn Day) en réaction aux vagues de suppressions de vidéos sur la plateforme.


Sur le net, mais aussi en dehors

Sans faire tout l’historique de leurs actions, aujourd’hui, les Anon, tout du moins les vrais, continuent de lutter pour la liberté et réagissent donc à toutes les atteintes (réelles ou à venir) réalisées par des entreprises ou des gouvernements. D’Hadopi à ACTA, en passant par SOPA, PIPA, la fermeture de Megaupload, la guerre contre Wikileaks, Occupy Wall Street, etc. la liste est particulièrement longue.

Les Anonymous ont de plus envahi les rues il y a peu, notamment celles de Varsovie en Pologne ou celles de Paris. L’esprit Anon est même entré au Parlement polonais via des députés locaux afin de manifester contre ACTA, une première.


Vidéo réalisée le 28 janvier dernier.

Les Anonymes sous surveillance

Être Anonymous, ou être un Anonymous présumé par ses actes et contacts, n’est néanmoins pas sans danger. Il y a quelques semaines, en France, plusieurs personnes ont été placées en garde à vue par la Direction centrale du renseignement intérieur française (DCRI). Leur délit présumé ? Avoir participé à une attaque DDoS contre le site internet d’EDF en avril et juin derniers lors de l’opération Green Rights. Cette opération visait à pointer du doigt les sociétés exploitant le nucléaire après la catastrophe de Fukushima, en attaquant leur site web.

Le plus fou dans l’histoire est que l’une des personnes interpelées n’a aucun rapport avec les actions des Anonymous, hormis de proposer un « raccourcisseur » d’URL pour les utilisateurs d’IRC. Or les adeptes du courant Anonymous discutent particulièrement sur IRC pour préparer leurs attaques. Résultat, l’URL simple irc.lc/anonops ne fonctionne plus. Ce qui ne change pas-grand-chose pour les Anonymous…

Cela prouve néanmoins que ces derniers sont surveillés (plus ou moins bien) et cela nous rappelle surtout qu’être totalement anonyme sur Internet est plus complexe qu’on ne le croit.


Qui sont-ils vraiment ? 

Mais concrètement, qui sont les Anonymous ? S’il s’agit avant tout d’une idée, pour ne pas dire une philosophie, on ne peut à proprement parler définir les Anonymous. Ce n’est pas une organisation secrète où chacun dispose de sa carte de membre et où une hiérarchie bien précise est mise en place. Il n’y a pas de structure proprement dite, il n’y a pas de « membre ».

Bien sûr, il existe certains groupes d’hacktivistes, créés il y a plusieurs années, et qui se connaissent entre eux. Des anciens encore en activité qui pourraient invoquer la paternité du mouvement. Mais ce dernier ne leur appartient pas pour autant. Son concept va à l'encontre de toute propriété du mouvement. Il y a aussi (surtout ?) ceux qui ne sont que de simples sympathisants, se contentant de participer aux actions collectives à l’occasion en passant par certains logiciels et moyens de communication. Le reste du temps, ils sont Monsieur et Madame tout le monde.

Au final, n’importe qui peut donc se définir comme Anonymous, tant qu’il agit avec la philosophie du groupe, philosophie qui peut néanmoins être interprétée de façon différente (l'éternel problème). Par groupe, il faut donc comprendre qu'il s'agit d'une association de personnes allant dans le même sens, ceci sans pour autant se connaître, bien au contraire.

Être un Anon...

Cela soulève néanmoins une problématique. Il est tout d’abord bien difficile d’interviewer un Anonymous en étant certain qu’il ne s’agit pas d’un usurpateur. Ce qui pose des difficultés évidentes quant à leur relation avec la presse. L’exemple le plus frappant est l’interview de cet Anonymous par les deux Éric.

L’invité, censé représenter les Anon, n’est autre que Victor Charlie, de son vrai nom Frantz Lefrançois-Baillard. Or s’il se revendique Anonymous depuis plusieurs années, notamment dans sa lutte contre la Scientologie, il a néanmoins fait tomber le masque et a divulgué sa véritable identité il y a peu. Il s’agit donc d’un Anonymous non anonyme. Qui plus est, il a été choisi (malgré lui ?) comme porte-parole des Anonymous pour cette émission. Et non seulement son discours n’est pas forcément partagé par tous les Anonymous, mais de plus, il n’est en aucun cas un habitué des interviews. Difficile dans ces conditions de représenter l’idéologie Anon.


...ou le paraître

Ajoutons que n’importe qui peut attaquer un site en utilisant l’image des Anonymous. Et n’importe qui peut publier une vidéo en se faisant passer pour un Anonymous. Cet exemple au sujet de Cortex est sans conséquence et gentillet, mais des paroles et actes bien plus graves pourraient être réalisés en leur nom, tout en étant pourtant en totale opposition avec leur philosophie.

L’attaque récente contre le site Lexpress.fr en est le meilleur exemple. Christophe Barbier sur iTele a eu la brillante idée d’annoncer que son site était « blindé » et qu’il les attendait… La riposte a été rapide et L'Express a rapidement été indisponible après la mise en ligne de la provocation.

L'action a au départ été attribuée à Anonymous, ce qui peut paraître logique au regard de l'attaque verbale, mais incohérent au regard de la philosophie des Anon. Peu importe les sottises racontées par la presse, cette dernière ne peut être attaquée, car cela signifierait s’en prendre à la liberté d’expression. Christophe Barbier l’a d’ailleurs en partie compris.


Aller au-delà du nom, et s'intéresser au fond

Il est donc au final très difficile d’attribuer ou non un acte aux Anonymous, de par leur notion, leur conception. Plus que les auteurs, il faut ainsi s’intéresser aux actes en eux-mêmes et saisir leurs buts et leurs sens. Par exemple, défendre MegaUpload peut ainsi de prime abord paraître insensé alors que le site basait son modèle financier sur une immense partie de fichiers illégaux. Mais ses défenseurs, qui ne sont ni des fans de Kim Dotcom ni du service en lui-même, estiment que les méthodes utilisées pour fermer le site et l’indisponibilité des fichiers légaux sont plus que contestables.

C’est la raison pour laquelle il faut dépasser le concept de groupe. Anonymous va bien au-delà de cette frontière. « Nous sommes Anonymes. Nous sommes Légion » débute ainsi leur devise. Leur nombre n’a pas de limite en soi, l’anonymat empêchant de toute façon toute ségrégation.

À l’instar de l’anonymat au sens général, les Anon ont donc les défauts de leurs qualités. La victoire ou la défaite des Anonymous ne se remarque au final que par le passage ou non des lois liberticides, des dérives du Net, et même en dehors. Nous disions en début d’article que les Anon réagissaient plutôt qu’agissaient. La logique est la même sur leur propre existence : les Anonymous n’existeraient pas si une partie de la population n’était pas exaspérée par les atteintes aux libertés (entre autres). Au regard de l'actualité, les Anon sont loin de disparaître et ont, au contraire, toutes les chances de se multiplier...

Source : PC INpact